UN SYSTÈME DE SANTE INCLUSIF : LE PARI A GAGNER
Les
semaines d’intégration à la faculté de médicine ramènent traditionnellement les
éternelles questions sur les raisons qui ont poussé vers ce choix. Je me plais
à entendre certaines réponses dont la signification me semble nullement évaluée :
« …Pour sauver des vies » ou encore « …Parce que je l’ai
toujours aimé ». Mais au fil des années, aux raisons qui nous ont amené là,
s’ajoutent celles qui font qu’on poursuit la route. L’une des plus impressionnantes
reste « … parce que je veux faire partie de ceux qui travaillent à
améliorer notre système de santé ». Le décor est alors bien planté pour
amorcer un débat enrichissant autour du système de santé haïtien, ce qui le
constitue, les forces et les faiblesses qu’il connait.
Nous
parlons de système. La complexité de la question est évidente au premier mot en
considérant déjà qu’attacher une définition à la santé n’est nullement une
entreprise aisée. Je dirais que nous avons affaire à un ensemble hiérarchisé de
personnes et d’institutions travaillant dans le but de réaliser des actions de santé.
Celle-ci étant, selon l’OMS (1948), un état complet de bien-être physique,
mental et social et ne consistant pas seulement en l’absence de maladie ou
d’infirmité. Les acteurs qui œuvrent dans cette perspective vont du commun des
mortels au spécialiste le plus avisé. Les pourvoyeurs de soins de santé qui
travaillent dans les institutions sophistiquées y font partie aussi bien que le
voisin qui vous conseille de prendre tel médicament en cas de besoin et même le
hougan qui utilise ses méthodes propres pour fournir des soins. L’implication
de tous ces acteurs divise le système de santé haïtien en deux sous-systèmes :
la médecine traditionnelle et la médecine occidentale.
A
cause de la situation socio-économique de précarité et de grande disparité qui
existe dans le pays, la plus grande part de la population haïtienne se tourne
vers la médecine traditionnelle. Les médecins-feuilles et les sages-femmes, qui
occupent les structures traditionnelles, assurent la prestation de services de
santé à plus de 90% de la population. Les conditions ne sont pas souvent les
meilleures. La qualité des soins ne dépasse pas souvent celle fournie par des
institutions mieux équipées en matériels et en ressources humaines mais le cout
de ces prestations pousse les gens à les choisir. Il est plutôt difficile
d’imaginer qu’un haïtien en milieu rural
vivant de maigres moyens aura un choix différent de celui-là. Surtout que l’accès
à l’éducation en dehors des grandes villes est souvent un sujet de grands débats
mais la réalité ne change pas trop. Si la visite chez le médecin-feuille, la
sage-femme ou le hougan ne coute pas 1500 gourdes, la qualité des soins est
loin d’être garantie.
D’un
autre cote, l’état contrôle par le biais du ministère de la santé publique et
de la population, la médecine dite officielle ou occidentale. En Haïti, on évolue
dans un système mixte, c’est-a-dire, qui regroupe des acteurs du secteur public
et du secteur privé. Ces derniers comprennent les ONG, les églises, les
assurances etc. Ces acteurs occupent des hôpitaux, des centres spécialisés et
fournissent des services de santé à travers des programmes visant des
populations cibles et souvent des pathologies cibles. Pendant longtemps les
femmes enceintes et les enfants sont considérés comme des groupes cibles de
certains programmes et la lutte contre des maladies telles que le paludisme et
la tuberculose reste une priorité de l’état haïtien. A un cout réduit, l’état
garantit un paquet minimum de service aux patients qui fréquentent les hôpitaux
publics tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
Si
les conditions socio-économiques sont précaires à la campagne, en ville le chômage
ou le sous-emploi rend les ménages très vulnérables au niveau sanitaire. Les hôpitaux
publics ne répondent pas souvent aux règles d’hygiène nécessaires et surtout la
qualité des soins n’y est pas garantie à cause de l’insuffisance des ressources
humaines (souvent en grève). Or se payer une visite en clinique privée est réservé
à une faible portion de la population. Les cliniques et centres privés n’étant
pas subventionnés, la consultation se fait à un cout qui intimide les portefeuilles.
La qualité des services fournis est cependant meilleure. Dans un même objectif,
la médecine traditionnelle côtoie à longueur de journée celle dite officielle
et parfois les acteurs de l’un des sous-systèmes renvoient à l’autre et le
patient haïtien se trouvera longtemps entre les deux qui ne forment qu’un seul
et même système de santé.
Sa
performance, bonne ou mauvaise, sera évaluée dans un premier temps, à travers
lui, le patient haïtien. Quel est son niveau général de santé ? En dépit
des programmes de lutte et de prévention, les plus grandes pathologies tueuses
sont : le SIDA, les diarrhées et gastro-entérites, les accidents
cerebro-vasculaires, la malnutrition, la tuberculose, l’hypertension et le diabète.
Chez les femmes, les décès maternels sont surtout dus à l’éclampsie, le décollement
prématuré du placenta et d’autres complications au moment de l’accouchement,
les hémorragies du post-partum pour ne citer que ceux-là. Les hommes eux, sont
surtout emportés par les maladies infectieuses, le sida et les maladies
cardio-vasculaires. La diarrhée, la grippe et les pneumopathies et la
malnutrition sont les premières causes de décès chez les enfants. Cette
diversité de pathologie touchant les différents groupes cibles laisse entrevoir
que nous faisons encore face à d’énormes défis sur le point de la santé en dépit
des programmes de prévention et de prise en charge.
Pour
gagner ce pari, il nous faut des hommes. L’OMS exige 25 ressources humaines dans le
domaine de la santé pour 10 000 habitants. Or en Haïti, nous n’avons que 2.3 médecins
ou infirmières pour 10 000 habitants. Les professionnels se concentrent à Port-au-Prince alors que le département de
la Grand-anse par exemple ne connait que 0.2 pour 10 000. Le nombre de
professionnels en matière de santé formé en Haïti ne permet pas qu’il y ait un
nombre adéquat en fonction actuellement et les conditions de vie ne leur permet
pas souvent de rester au pays. Le peu qui reste, au prix de lourd sacrifice,
exerce dans les hôpitaux publics mais surtout en clinique privée. Formés ici,
ils ont le bagage nécessaire pour faire face aux problèmes de santé de notre
pays. Nous importons des médecins alors que notre pays en forme pour en
exporter. Beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à intégrer le système américain après
des années de sacrifice et finissent par se tourner vers un autre champs ou
tomber dans le sous-emploi ailleurs.
Parlant
d’argent, le vendredi 29 juin 2012, la
ministre de l’économie et des finances a déposé un projet de lois de finances
adopté par le conseil des ministres prévoyant un budget de 131 milliards de
gourdes pour l’exercice 2012-2013. Le secteur de la santé retiendra 9.5
milliards de gourdes, loin derrière des secteurs comme le secteur économique et
les infrastructures. Comme dirait Benjamin Disraeli, la santé du peuple est la
fondation sur laquelle repose tout le bonheur et la puissance de l’état. Mais
la priorité de l’heure n’est pas à la santé. Alors le système ne sera que
faiblement financé par l’état et le gros du financement viendra de l’aide
internationale. Les priorités en matière de santé de l’international, sont différentes
des nôtres alors que notre système est largement financé par eux. Il est donc
important d’avoir un leadership aiguisé pour que nous soyons les vrais bénéficiaires
de l’aide.
Le
patient haïtien, destinataire des prestations de soin, devra alors être au
centre des attentions. Il faut que les médecins reviennent aux bonnes vieilles règles
qu’ils ont apprises à la fac. Etre à l’écoute du patient. Qu’il participe également
au processus de sa santé. Divers moyens peuvent aider à y arriver. L’éducation représente
l’une des priorités majeures du gouvernement. Une éducation en santé dans les
programmes scolaires serait bénéfique pour combattre le cholera et autres
maladies. Il est temps que les notions d’hygiènes élémentaires, les conseils
pratiques de secourisme et de prévention de maladies cardio-vasculaires soient
inculqués à l’élève haïtien.
Des
mesures de protection de l’environnement, l’accès à l’eau potable et à
l’assainissement, une meilleure qualité de vie sociale et économique à travers
la création d’emploi, un changement de comportement face aux aliments et
substances que nous consommons, l’encouragement d’investissement et
d’innovation dans le secteur de la santé sont entre autres défis à surmonter
dans l’objectif d’améliorer le système de santé haïtien. La santé, loin d’être
une affaire de médecin est plutôt une affaire de citoyen. Faisons de notre
système de santé un système inclusif où le citoyen éduqué et responsable assurera
la force de son pays.
Par Kenny Moise
Suivez @kennymoise sur twitter
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