vendredi 27 juillet 2012

UN SYSTÈME DE SANTE INCLUSIF : LE PARI A GAGNER


 UN SYSTÈME DE SANTE INCLUSIF : LE PARI A GAGNER

Les semaines d’intégration à la faculté de médicine ramènent traditionnellement les éternelles questions sur les raisons qui ont poussé vers ce choix. Je me plais à entendre certaines réponses dont la signification me semble nullement évaluée : « …Pour sauver des vies » ou encore « …Parce que je l’ai toujours aimé ». Mais au fil des années, aux raisons qui nous ont amené là, s’ajoutent celles qui font qu’on poursuit la route. L’une des plus impressionnantes reste « … parce que je veux faire partie de ceux qui travaillent à améliorer notre système de santé ». Le décor est alors bien planté pour amorcer un débat enrichissant autour du système de santé haïtien, ce qui le constitue, les forces et les faiblesses qu’il connait.
Nous parlons de système. La complexité de la question est évidente au premier mot en considérant déjà qu’attacher une définition à la santé n’est nullement une entreprise aisée. Je dirais que nous avons affaire à un ensemble hiérarchisé de personnes et d’institutions travaillant dans le but de réaliser des actions de santé. Celle-ci étant, selon l’OMS (1948), un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité. Les acteurs qui œuvrent dans cette perspective vont du commun des mortels au spécialiste le plus avisé. Les pourvoyeurs de soins de santé qui travaillent dans les institutions sophistiquées y font partie aussi bien que le voisin qui vous conseille de prendre tel médicament en cas de besoin et même le hougan qui utilise ses méthodes propres pour fournir des soins. L’implication de tous ces acteurs divise le système de santé haïtien en deux sous-systèmes : la médecine traditionnelle et la médecine occidentale.
A cause de la situation socio-économique de précarité et de grande disparité qui existe dans le pays, la plus grande part de la population haïtienne se tourne vers la médecine traditionnelle. Les médecins-feuilles et les sages-femmes, qui occupent les structures traditionnelles, assurent la prestation de services de santé à plus de 90% de la population. Les conditions ne sont pas souvent les meilleures. La qualité des soins ne dépasse pas souvent celle fournie par des institutions mieux équipées en matériels et en ressources humaines mais le cout de ces prestations pousse les gens à les choisir. Il est plutôt difficile d’imaginer  qu’un haïtien en milieu rural vivant de maigres moyens aura un choix différent de celui-là. Surtout que l’accès à l’éducation en dehors des grandes villes est souvent un sujet de grands débats mais la réalité ne change pas trop. Si la visite chez le médecin-feuille, la sage-femme ou le hougan ne coute pas 1500 gourdes, la qualité des soins est loin d’être garantie.
D’un autre cote, l’état contrôle par le biais du ministère de la santé publique et de la population, la médecine dite officielle ou occidentale. En Haïti, on évolue dans un système mixte, c’est-a-dire, qui regroupe des acteurs du secteur public et du secteur privé. Ces derniers comprennent les ONG, les églises, les assurances etc. Ces acteurs occupent des hôpitaux, des centres spécialisés et fournissent des services de santé à travers des programmes visant des populations cibles et souvent des pathologies cibles. Pendant longtemps les femmes enceintes et les enfants sont considérés comme des groupes cibles de certains programmes et la lutte contre des maladies telles que le paludisme et la tuberculose reste une priorité de l’état haïtien. A un cout réduit, l’état garantit un paquet minimum de service aux patients qui fréquentent les hôpitaux publics tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
Si les conditions socio-économiques sont précaires à la campagne, en ville le chômage ou le sous-emploi rend les ménages très vulnérables au niveau sanitaire. Les hôpitaux publics ne répondent pas souvent aux règles d’hygiène nécessaires et surtout la qualité des soins n’y est pas garantie à cause de l’insuffisance des ressources humaines (souvent en grève). Or se payer une visite en clinique privée est réservé à une faible portion de la population. Les cliniques et centres privés n’étant pas subventionnés, la consultation se fait à un cout qui intimide les portefeuilles. La qualité des services fournis est cependant meilleure. Dans un même objectif, la médecine traditionnelle côtoie à longueur de journée celle dite officielle et parfois les acteurs de l’un des sous-systèmes renvoient à l’autre et le patient haïtien se trouvera longtemps entre les deux qui ne forment qu’un seul et même système de santé.
Sa performance, bonne ou mauvaise, sera évaluée dans un premier temps, à travers lui, le patient haïtien. Quel est son niveau général de santé ? En dépit des programmes de lutte et de prévention, les plus grandes pathologies tueuses sont : le SIDA, les diarrhées et gastro-entérites, les accidents cerebro-vasculaires, la malnutrition, la tuberculose, l’hypertension et le diabète. Chez les femmes, les décès maternels sont surtout dus à l’éclampsie, le décollement prématuré du placenta et d’autres complications au moment de l’accouchement, les hémorragies du post-partum pour ne citer que ceux-là. Les hommes eux, sont surtout emportés par les maladies infectieuses, le sida et les maladies cardio-vasculaires. La diarrhée, la grippe et les pneumopathies et la malnutrition sont les premières causes de décès chez les enfants. Cette diversité de pathologie touchant les différents groupes cibles laisse entrevoir que nous faisons encore face à d’énormes défis sur le point de la santé en dépit des programmes de prévention et de prise en charge.
Pour gagner ce pari, il nous faut des hommes.  L’OMS exige 25 ressources humaines dans le domaine de la santé pour 10 000 habitants. Or en Haïti, nous n’avons que 2.3 médecins ou infirmières pour 10 000 habitants. Les professionnels se concentrent  à Port-au-Prince alors que le département de la Grand-anse par exemple ne connait que 0.2 pour 10 000. Le nombre de professionnels en matière de santé formé en Haïti ne permet pas qu’il y ait un nombre adéquat en fonction actuellement et les conditions de vie ne leur permet pas souvent de rester au pays. Le peu qui reste, au prix de lourd sacrifice, exerce dans les hôpitaux publics mais surtout en clinique privée. Formés ici, ils ont le bagage nécessaire pour faire face aux problèmes de santé de notre pays. Nous importons des médecins alors que notre pays en forme pour en exporter. Beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à intégrer le système américain après des années de sacrifice et finissent par se tourner vers un autre champs ou tomber dans le sous-emploi ailleurs.
Parlant d’argent, le vendredi  29 juin 2012, la ministre de l’économie et des finances a déposé un projet de lois de finances adopté par le conseil des ministres prévoyant un budget de 131 milliards de gourdes pour l’exercice 2012-2013. Le secteur de la santé retiendra 9.5 milliards de gourdes, loin derrière des secteurs comme le secteur économique et les infrastructures. Comme dirait Benjamin Disraeli, la santé du peuple est la fondation sur laquelle repose tout le bonheur et la puissance de l’état. Mais la priorité de l’heure n’est pas à la santé. Alors le système ne sera que faiblement financé par l’état et le gros du financement viendra de l’aide internationale. Les priorités en matière de santé de l’international, sont différentes des nôtres alors que notre système est largement financé par eux. Il est donc important d’avoir un leadership aiguisé pour que nous soyons les vrais bénéficiaires de l’aide.
Le patient haïtien, destinataire des prestations de soin, devra alors être au centre des attentions. Il faut que les médecins reviennent aux bonnes vieilles règles qu’ils ont apprises à la fac. Etre à l’écoute du patient. Qu’il participe également au processus de sa santé. Divers moyens peuvent aider à y arriver. L’éducation représente l’une des priorités majeures du gouvernement. Une éducation en santé dans les programmes scolaires serait bénéfique pour combattre le cholera et autres maladies. Il est temps que les notions d’hygiènes élémentaires, les conseils pratiques de secourisme et de prévention de maladies cardio-vasculaires soient inculqués à l’élève haïtien.
Des mesures de protection de l’environnement, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, une meilleure qualité de vie sociale et économique à travers la création d’emploi, un changement de comportement face aux aliments et substances que nous consommons, l’encouragement d’investissement et d’innovation dans le secteur de la santé sont entre autres défis à surmonter dans l’objectif d’améliorer le système de santé haïtien. La santé, loin d’être une affaire de médecin est plutôt une affaire de citoyen. Faisons de notre système de santé un système inclusif où le citoyen éduqué et responsable assurera la force de son pays.


Par Kenny Moise
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