jeudi 6 mars 2014

POLITIQUE ET SANTE : FAISONS LE LIEN!

On était un large groupe d’étudiants, un matin de mars, confinés contre notre aise dans un étroit bureau du centre psychiatrique Mars and Kline. Bien trop nombreux mais, cela n’a paru d’aucune importance face à la gravité de la question que nous jeta notre moniteur de stage de psychiatrie. A cet âge, il nous était particulièrement difficile de réfléchir à propos de l’orientation qu’on rêvait de donner à notre carrière de médecin. Des idées fusaient de partout et s’entremêlaient, mais de toutes, se démarquait celle qui voulait que médecine et politique soit liées, pour une pratique bien au delà des cliniques et des chambres d’hôpitaux. Je voudrais analyser ci-dessous, les rapports que peuvent entretenir entre eux, santé et politique.

Pour aborder cette dernière, je préfère me référer à la définition que proposa le sociologue américain du XXème siècle Talcott Parsons en 1957. « La politique est la capacité de mobiliser les ressources de la société pour la réalisation des objectifs pour lesquels un engagement public peut être fait. » Puisqu’il s’agit d’organiser ce que l’on possède (ressources) en vue d’atteindre certains buts fixés, on peut aisément déduire que la politique ne peut être exclue de la vie des gens à aucun niveau. Le philosophe grec de l’antiquité, Aristote, n’a-t-il pas qualifié l’homme d’animal politique ? Je comprends selon son point de vue, que les hommes, tous les hommes, doivent revenir incessamment aux questions qui leur permettent de mieux s’organiser entre eux et avec d’autres de contrées plus éloignées. Des questions se rapportant à la nourriture, l’abri, l’éducation et la santé.

Concernant la santé, un groupe d’hommes, de professions diverses,  de nationalité et de cultures différentes se sont organisés en une institution internationale, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). C’est elle  qui proposa la plus fine définition de la santé, la plus intégrale : « La santé n’est pas seulement l’absence de maladie et d’infirmité mais un état de complet bien-être physique, mental et social » et qui l’établit comme droit fondamental de tout être humain. Voila quelques faits éminemment politiques qui ont façonné ou refaçonné totalement notre conception de la santé et de ce fait la pratique médicale partout dans le monde. On pourrait être tenté d’affirmer que la politique n’a de lien avec la santé que lorsqu’il s’agit de la définir et d’organiser ce secteur. Mais c’est à ce niveau qu’interviennent les déterminants sociaux de la santé parmi lesquels l’accès aux services de soins et l’éducation des citoyens, qui ont ouvert notre vision sur la façon dont la politique dans sa pratique peut indirectement influencer la santé et  la pratique de la médecine.

Ces déterminants sont certaines conditions sociales qui méritent d’être revues ensemble, autour d’une même table, afin que la santé soit pour le citoyen une réalité. Médecins et autres professionnels peuvent et doivent améliorer l’accès aux services de soins. C’est-à-dire, créer un système de santé équitable, orienté vers le patient et la qualité des soins qui lui sont offerts. Ce système de santé assurerait de meilleurs résultats s’il se fondait sur la prévention. L’éducation des citoyens, de l’enfance jusqu’à l’âge le plus avancé, serait donc le point central.

On doit axer notre vision de la santé autour d’actions comme la promotion de l’équité entre les genres. Ceci pourrait réduire la prévalence de certaines pathologies, liées à la difficulté des femmes à s’intégrer dignement dans leur famille, dans leur société. On serait de moins en moins confronté à la problématique de la violence spécifique faite aux femmes, un lourd fardeau sanitaire et socio-économique pour le pays.

De façon plus globale, on peut établir le lien entre l’urbanisme et la santé des gens. Investir des capitaux financiers et humains dans l’organisation du cadastre, la propreté des rues, la sécurité routière à l’intérieur des villes et dans les agglomérations sont des décisions qui contribueraient à ralentir l’expansion de certaines maladies. On porterait un coup au fléau que représentent les accidents de la voie publique. Avec une plus forte implication politique, c’est-a-dire si un nombre important de citoyens s’impliquait davantage dans l’organisation de notre société, on arriverait à réaliser une énorme différence dans la vie de la majorité des gens, le plus souvent les moins pourvus sur le plan socio-économique.

Comment s’impliquer?

1)      S’organiser. Créer des organisations, des groupes ou des cercles afin de réfléchir à propos des obstacles qui empêchent à la plupart des gens du milieu de jouir de la santé comme l’a défini l’OMS. C’est un acte qui se démarque des vieilles pratiques qui n’ont laissé que peu de résultat.

2)      Collaborer. Le médecin d’aujourd’hui ne peut plus se borner à travailler seul. Il doit affiner ses capacités de leadership afin de créer des équipes composées non seulement de médecins mais également de professionnels d’autres secteurs afin de définir des objectifs qui permettront aux individus de vivre en santé. Il s’agit d’un processus qui aboutirait à l’harmonie entre la médecine traditionnelle et celle dite moderne.

3)      Eduquer.   Agir en amont c’est-à-dire aller à la source. Fournir aux gens l’arme la plus importante leur permettant de pouvoir eux-mêmes être des acteurs de leur. Eduquer à travers des articles de journaux, des émissions radio ou télédiffusées et les réseaux sociaux. Eduquer les femmes et les filles vivant dans une société machiste où souvent la femme est instrumentalisée. Eduquer afin de briser les tabous autour de certaines pathologies, ce qui réduira l’exclusion sociale imputable à certaines maladies mais elle-même source de maintes maladies. Et même revoir la formation médicale et l’orienter en fonction des besoins.

4)      Voter, innover et proposer.  Elire les décideurs, ceux dont on partage la vision, ceux en qui on place une confiance afin d’aboutir à la réalisation de l’idéal défini, tel est l’engagement à un niveau plus poussé que peuvent et doivent prendre les médecins. Et proposer à ces décideurs des plans, des projets, des innovations et même de nouvelles lois qui redéfinissent l’approche des patients et l’apport de la santé. Agir là où l’action sera effective et efficace.

Je pense encore à cet entretien qui a clos notre stage de psychiatrie, il y a quelques années. Aujourd’hui, on ne  s’offre plus le luxe d’hésiter quant à l’éventualité de s’engager afin d’organiser la société que nous formons dans le but de garantir à chacun, l’un de ses droits fondamentaux : la santé. D’ailleurs, quel plus grand devoir existe-t-il envers sa patrie que la rendre plus forte ? La santé de ses citoyens, n’est-elle pas la base de cette grandeur ? 


Kenny Moise
@Kennymoise