mercredi 12 septembre 2012

POISSON CUIVRE : MYTHE ET REALITE



 Dr Jean-Claude Carre

La présence de neurotoxines dans certaines espèces de poisson constitue un problème environnemental et sanitaire sérieux dans les Caraïbes notamment en Haïti. De plus en plus de personnes se retrouvent intoxiqués et nombre d'entre eux en gardent d'amers souvenirs qu'ils portent avec eux pour le restant de leur vie.
Certes, le pourcentage de cas mortels reste limité. Cependant, les signes d'empoisonnement peuvent durer plusieurs jours. Toutefois, dans des cas qui se sont révélés graves, les symptômes neurologiques peuvent persister pendant des semaines et parfois jusqu'à même des mois.
En Haïti, le thème poisson cuivré est utilisé à tort et à travers. Car il s'agit, le plus souvent, d'espèces contaminées après s'être nourries d'algues toxiques. Ces algues connues sous le nom de ciguatera poussent ordinairement sur les récifs coralliens. Il s'agit de micro-algues unicellulaires de la famille des dinoflagellés.
Certains métaux lourds tels que les dérivés organiques du mercure ont, certes, déjà causé des dégâts importants parmi les pays grands consommateurs de poissons comme le Japon. Des projets d'études approfondies y relatives ont été élaborées par le Ministère de l'Environnement.
Elles seront lancées en Haïti au début de l'année prochaine en collaboration avec l'Agence Internationale de l'Energie Atomique. Une étude réalisée par l'OPS/OMS sous la supervision du Dr Jean Claude Carré révèle une présence importante de mercure (jusqu'à 280%) dans les eaux usées rejetées au bord de mer par des usines de peintures.

De nombreuses intoxications sont également causées par des histamines et des substances similaires. Les bactéries courantes de poisson peuvent créer des quantités importantes de toxines après sa mort en cas d'absence ou tout simplement d'insuffisance de réfrigération.

Inventaire des poissons à risque
Un inventaire des poissons à risque a été réalisé par un groupe de chercheurs de Polynésie. Il se trouve que cette démarche a été particulièrement malaisée. Elle l'est d'autant plus que certaines espèces peuvent être toxiques et non toxiques à la fois. Le risque de toxicité va dépendre du lieu où ils sont pêchés.
A un endroit, ils peuvent être parfaitement comestibles. A un autre par contre, ils peuvent être mortellement toxiques. L'intoxication dépendrait-elle alors du site de pêche? Dans ce cas, la toxicité est-elle d'origine naturelle (coraux, algues, microbes...) ou est-elle liée à la pollution des lagons? Ces questions sont donc à l'étude. Et aucun élément de réponse appropriée n'a été jusqu'ici trouvée. C'est donc une preuve patente de l'ampleur du problème.
Un fait est cependant certain. Ces algues, vivant particulièrement sur les récifs, secrètent la ciguatoxine. C'est un produit chimique (polyéther cyclique). Il passe dans la chaîne alimentaire lorsque des poissons de récif sont mangés par de plus grands poissons carnivores que les humains vont à leur tour consommer.
Les espèces les plus souvent mises en cause sont le barracuda, la murène, le mérou, le vivaneau rouge, le saumon d'un an en mer, l'esturgeon et le bar commun. La présence de poissons toxiques est sporadique. Mais il faut bien faire attention. Ce ne sont pas tous les poissons d'une espèce donnée ou d'un endroit précis qui s'avèrent toxiques.
La toxine peut se retrouver dans n'importe quelle partie du corps du poisson. Néanmoins, elle est généralement localisée dans des parties telles la tête, les viscères, les œufs et le foie. A l'instar du venin, elle est inoffensive pour les poissons porteurs. Pourtant, elle se révèle un poison fort souvent mortel pour les humains.
Cas et symptômes d'intoxication
La ciguatoxine n'est pas détruite par la congélation, la cuisson ou tout autre procédé de transformation du poisson. Elle est inodore et n'altère ni son goût ni son apparence. Il est donc impossible de déterminer si le poisson est contaminé par la toxine.
On rapporte plusieurs dizaines de milliers de cas de ciguatera par année. Ils sont plus fréquents dans des zones endémiques des océans Pacifique et Indien ainsi que dans la mer des Antilles. Les symptômes de la ciguatera sont d'ordre gastro-intestinal et neurologique.
Ils se manifestent généralement dans un intervalle de 1 à 6 heures après la consommation du poisson contaminé. Ils peuvent s'accroître au cours des heures qui suivent. Les symptômes typiques sont : de la diarrhée, des vomissements, des douleurs abdominales, des bouffées de chaleur et des sensations de froid en alternance, des sensations de picotement dans la bouche ou les jambes et des douleurs ou des faiblesses aux jambes.

Dans les cas d'intoxication grave, le sujet peut souffrir de retentissements cardiovasculaires (diminution du rythme cardiaque, baisse de la tension artérielle). Le traitement est symptomatique. Un régime alimentaire sans poisson ni protéines animales permet généralement d'éviter une rechute clinique. Le pronostic est favorable en général sauf sur terrain fragile (enfants et vieillards).
La consommation d'alcool ou de noix peut exacerber les symptômes d'empoisonnement. À ce jour, il n'existe encore aucun test clinique pour diagnostiquer la ciguatera chez les humains. Cependant, il est possible de confirmer le diagnostic en détectant la présence de toxine dans le poisson. Des kits d'immunoassays ( ELISA par ex.) sont disponibles et permettent la détermination des diverses toxines dans l'eau, le poisson et autres fruits de mer.

Traitement de soutien
S'il s'avère nécessaire, les mesures pour pallier ce type d'empoisonnement consistent en un traitement de soutien. Elles visent essentiellement à atténuer les symptômes. L'absorption de neurotropes, tels que des doses concentrées de vitamines B (B1, B6 et B12, appelés Neurobion et/ou Neurorubine Forte) parvient souvent à diminuer les douleurs abdominales de manière significative. Fort malheureusement, rares sont les médecins, notamment en Haïti, qui sont familiers à la ciguatoxine.
Les expériences réalisées en laboratoire ont révélé que les ciguatoxines agissent sur les cellules nerveuses et musculaires. Ils se fixent sur les canaux sodiques. Ce sont ces canaux qui assurent le transfert du signal nerveux en permettant l'entrée d'ions sodium. Ce transfert se trouve donc perturbé. Chaque ciguatoxine à une affinité différente pour ces canaux sodiques des membranes.
La ciguatera est un problème qui touche à la fois la pêche et la santé humaine. La découverte d'un tel poison remonte à plus de quatre siècles. Ceci n'empêche que bon nombre de gens ont fini par "vivre avec" cette intoxication. C'est, de toute évidence, un risque inhérent à la consommation de poissons.
Le nombre de cas graves n'est, parait-il, pas suffisamment élevé en Haïti. Nous pouvons déduire que c'est du moins ce qui retarde une réaction politique au niveau local. Et l'incidence précise de ces intoxications sur la vie sociale reste indéterminée. L'absence de statistiques fiables et l'inexistence de travaux de recherche ne permettent pas d'évaluer l'ampleur d'une telle problématique. Il faudra s'attendre à une augmentation du nombre de cas de ciguatera, parce que les coraux morts constituent un milieu favorable de prolifération des dinoflagellés. Or, des études révèlent que de plus en plus de récifs coralliens sont malades ou meurent.

Mesures d'accompagnement
Cependant, suite à de nombreux travaux réalisés au niveau régional (Amérique Centrale et Caraïbes) , l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) a reconnu la gravité du problème (de nombreux touristes et coopérants étrangers sont régulièrement victimes d'intoxications au poisson).
C'est ainsi qu'Haïti fut invitée par le biais du Ministère de l'Environnement à prendre part, en juillet 2008, à un atelier de travail qui s'est tenu au Chili. L'une des résolutions consistent à la mise en œuvre d'un système de surveillance biologique (Biomonitoring) des fruits de mer et l'utilisation de techniques (marqueurs) isotopiques. Cette activité devrait faciliter le contrôle des intoxications par les poissons contenant la ciguatera.

D'ici deux années, le Ministère de l'Environnement, avec l'aide de l'AIEA, compte bien pouvoir doter le pays d'un réseau national de contrôle afin de sécuriser les fruits de mer.
L'objectif principal de cette opération est de parvenir ainsi à une réduction significative du nombre de cas d'intoxications notamment par la ciguatera. Des programmes de prophylaxie préalablement établis contribueront activement à trouver des antidotes appropriés en vue d'atteindre cet objectif.

Dr. Jean Claude Carré Ing.Chim
Ministère de l'Environnement
Jclaude_carre@hotmail.com


Sources : 
http://www.haitiwebs.com/showthread.php?t=51617

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