Dr Jean-Claude Carre
La présence de neurotoxines dans certaines espèces de
poisson constitue un problème environnemental et sanitaire sérieux dans les Caraïbes
notamment en Haïti. De plus en plus de personnes se retrouvent intoxiqués et
nombre d'entre eux en gardent d'amers souvenirs qu'ils portent avec eux pour le
restant de leur vie.
Certes, le pourcentage de cas mortels reste limité.
Cependant, les signes d'empoisonnement peuvent durer plusieurs jours.
Toutefois, dans des cas qui se sont révélés graves, les symptômes neurologiques
peuvent persister pendant des semaines et parfois jusqu'à même des mois.
En Haïti, le thème poisson cuivré est utilisé à tort et à
travers. Car il s'agit, le plus souvent, d'espèces contaminées après s'être
nourries d'algues toxiques. Ces algues connues sous le nom de ciguatera
poussent ordinairement sur les récifs coralliens. Il s'agit de micro-algues
unicellulaires de la famille des dinoflagellés.
Certains métaux lourds tels que les dérivés organiques du
mercure ont, certes, déjà causé des dégâts importants parmi les pays grands
consommateurs de poissons comme le Japon. Des projets d'études approfondies y
relatives ont été élaborées par le Ministère de l'Environnement.
Elles seront lancées en Haïti au début de l'année
prochaine en collaboration avec l'Agence Internationale de l'Energie Atomique.
Une étude réalisée par l'OPS/OMS sous la supervision du Dr Jean Claude Carré
révèle une présence importante de mercure (jusqu'à 280%) dans les eaux usées
rejetées au bord de mer par des usines de peintures.
De nombreuses intoxications sont également causées par
des histamines et des substances similaires. Les bactéries courantes de poisson
peuvent créer des quantités importantes de toxines après sa mort en cas
d'absence ou tout simplement d'insuffisance de réfrigération.
Inventaire des poissons à risque
Un inventaire des poissons à risque a été réalisé par un
groupe de chercheurs de Polynésie. Il se trouve que cette démarche a été
particulièrement malaisée. Elle l'est d'autant plus que certaines espèces
peuvent être toxiques et non toxiques à la fois. Le risque de toxicité va
dépendre du lieu où ils sont pêchés.
A un endroit, ils peuvent être parfaitement comestibles.
A un autre par contre, ils peuvent être mortellement toxiques. L'intoxication
dépendrait-elle alors du site de pêche? Dans ce cas, la toxicité est-elle
d'origine naturelle (coraux, algues, microbes...) ou est-elle liée à la
pollution des lagons? Ces questions sont donc à l'étude. Et aucun élément de
réponse appropriée n'a été jusqu'ici trouvée. C'est donc une preuve patente de
l'ampleur du problème.
Un fait est cependant certain. Ces algues, vivant
particulièrement sur les récifs, secrètent la ciguatoxine. C'est un produit
chimique (polyéther cyclique). Il passe dans la chaîne alimentaire lorsque des
poissons de récif sont mangés par de plus grands poissons carnivores que les
humains vont à leur tour consommer.
Les espèces les plus souvent mises en cause sont le
barracuda, la murène, le mérou, le vivaneau rouge, le saumon d'un an en mer,
l'esturgeon et le bar commun. La présence de poissons toxiques est sporadique.
Mais il faut bien faire attention. Ce ne sont pas tous les poissons d'une
espèce donnée ou d'un endroit précis qui s'avèrent toxiques.
La toxine peut se retrouver dans n'importe quelle partie
du corps du poisson. Néanmoins, elle est généralement localisée dans des
parties telles la tête, les viscères, les œufs et le foie. A l'instar du venin,
elle est inoffensive pour les poissons porteurs. Pourtant, elle se révèle un
poison fort souvent mortel pour les humains.
Cas et symptômes d'intoxication
La ciguatoxine n'est pas détruite par la congélation, la
cuisson ou tout autre procédé de transformation du poisson. Elle est inodore et
n'altère ni son goût ni son apparence. Il est donc impossible de déterminer si
le poisson est contaminé par la toxine.
On rapporte plusieurs dizaines de milliers de cas de
ciguatera par année. Ils sont plus fréquents dans des zones endémiques des
océans Pacifique et Indien ainsi que dans la mer des Antilles. Les symptômes de
la ciguatera sont d'ordre gastro-intestinal et neurologique.
Ils se manifestent généralement dans un intervalle de 1 à
6 heures après la consommation du poisson contaminé. Ils peuvent s'accroître au
cours des heures qui suivent. Les symptômes typiques sont : de la diarrhée, des
vomissements, des douleurs abdominales, des bouffées de chaleur et des
sensations de froid en alternance, des sensations de picotement dans la bouche
ou les jambes et des douleurs ou des faiblesses aux jambes.
Dans les cas d'intoxication grave, le sujet peut souffrir
de retentissements cardiovasculaires (diminution du rythme cardiaque, baisse de
la tension artérielle). Le traitement est symptomatique. Un régime alimentaire
sans poisson ni protéines animales permet généralement d'éviter une rechute
clinique. Le pronostic est favorable en général sauf sur terrain fragile
(enfants et vieillards).
La consommation d'alcool ou de noix peut exacerber les
symptômes d'empoisonnement. À ce jour, il n'existe encore aucun test clinique
pour diagnostiquer la ciguatera chez les humains. Cependant, il est possible de
confirmer le diagnostic en détectant la présence de toxine dans le poisson. Des
kits d'immunoassays ( ELISA par ex.) sont disponibles et permettent la
détermination des diverses toxines dans l'eau, le poisson et autres fruits de
mer.
Traitement de soutien
S'il s'avère nécessaire, les mesures pour pallier ce type
d'empoisonnement consistent en un traitement de soutien. Elles visent
essentiellement à atténuer les symptômes. L'absorption de neurotropes, tels que
des doses concentrées de vitamines B (B1, B6 et B12, appelés Neurobion et/ou
Neurorubine Forte) parvient souvent à diminuer les douleurs abdominales de
manière significative. Fort malheureusement, rares sont les médecins, notamment
en Haïti, qui sont familiers à la ciguatoxine.
Les expériences réalisées en laboratoire ont révélé que
les ciguatoxines agissent sur les cellules nerveuses et musculaires. Ils se
fixent sur les canaux sodiques. Ce sont ces canaux qui assurent le transfert du
signal nerveux en permettant l'entrée d'ions sodium. Ce transfert se trouve
donc perturbé. Chaque ciguatoxine à une affinité différente pour ces canaux
sodiques des membranes.
La ciguatera est un problème qui touche à la fois la
pêche et la santé humaine. La découverte d'un tel poison remonte à plus de
quatre siècles. Ceci n'empêche que bon nombre de gens ont fini par "vivre
avec" cette intoxication. C'est, de toute évidence, un risque inhérent à
la consommation de poissons.
Le nombre de cas graves n'est, parait-il, pas
suffisamment élevé en Haïti. Nous pouvons déduire que c'est du moins ce qui
retarde une réaction politique au niveau local. Et l'incidence précise de ces
intoxications sur la vie sociale reste indéterminée. L'absence de statistiques
fiables et l'inexistence de travaux de recherche ne permettent pas d'évaluer
l'ampleur d'une telle problématique. Il faudra s'attendre à une augmentation du
nombre de cas de ciguatera, parce que les coraux morts constituent un milieu
favorable de prolifération des dinoflagellés. Or, des études révèlent que de
plus en plus de récifs coralliens sont malades ou meurent.
Mesures d'accompagnement
Cependant, suite à de nombreux travaux réalisés au niveau
régional (Amérique Centrale et Caraïbes) , l'Agence Internationale de l'Energie
Atomique (AIEA) a reconnu la gravité du problème (de nombreux touristes et
coopérants étrangers sont régulièrement victimes d'intoxications au poisson).
C'est ainsi qu'Haïti fut invitée par le biais du
Ministère de l'Environnement à prendre part, en juillet 2008, à un atelier de
travail qui s'est tenu au Chili. L'une des résolutions consistent à la mise en œuvre
d'un système de surveillance biologique (Biomonitoring) des fruits de mer et
l'utilisation de techniques (marqueurs) isotopiques. Cette activité devrait
faciliter le contrôle des intoxications par les poissons contenant la
ciguatera.
D'ici deux années, le Ministère de l'Environnement, avec
l'aide de l'AIEA, compte bien pouvoir doter le pays d'un réseau national de
contrôle afin de sécuriser les fruits de mer.
L'objectif principal de cette opération est de parvenir
ainsi à une réduction significative du nombre de cas d'intoxications notamment
par la ciguatera. Des programmes de prophylaxie préalablement établis
contribueront activement à trouver des antidotes appropriés en vue d'atteindre
cet objectif.
Dr. Jean Claude Carré Ing.Chim
Ministère de
l'Environnement
Jclaude_carre@hotmail.com
Sources :
http://www.haitiwebs.com/showthread.php?t=51617
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