Les leçons de l’histoire s’apprennent en se rendant
compte de son caractère dynamique. Celle de la médecine haïtienne et des
prestations de soins de santé en Haïti ne s’écarte pas de cette démarche. Le
contexte socio-économique et politique qui se modifie au fil des ans, ne cesse
d’influer cette pratique médicale. Une influence directe et indirecte qui a
permis de distinguer 3 grandes périodes à l’histoire de la médecine haïtienne.
La première qui s’étale de 1492 à 1804 est celle de la colonie de Saint-Domingue.
La seconde part de 1804 à 1864. Et enfin, on est encore à la troisième période.
Chacune accuse des caractéristiques propres et détermine une approche
différente de la pratique médicale.
Suite à la découverte d’Haïti et l’extinction des ‘’Indiens’’, les noirs
africains ont été importés en 1503 afin d’assurer la prospérité de la colonie
française. Mais c’est l’année 1698 qui verra naitre les deux premiers hôpitaux
de Saint-Domingue à Léogane et au Cap-Haitien sous la direction des Frères de
la Charité. Le roi Louis XV, par ses ordonnances, tenta de réglementer cette
pratique médicale qui fut désormais réservée aux blancs. Mais en dépit de ces
initiatives, cette période a été marquée par une forte pratique empirique basée
sur les « simples », les propriétés des plantes et les sources thermales
spécialement les sources puantes réputées pour la guérison de plusieurs
pathologies de la peau. Parmi les plantes, on utilisait l’absinthe, le basilic,
le calebassier, l’aloès et tant d’autres. Les français se sont alors appliqués
à connaitre les maladies locales et les traitements appropriés. Les noirs eux,
‘’languissaient dans un affreux esclavage qui fait tous les jours frémir l’Humanité.
‘’
Tout bèt jennen mode. Alors la révolte n’a pas tardé. Elle s’est soldée par
l’indépendance d’Haïti en 1804 et le massacre des français. Rappelons que les
français étaient les seuls habilités à pratiquer la médecine dans la colonie de
Saint-Domingue. Cette charge fut donc confiée aux noirs anciens esclaves qui
viennent tout bonnement de gagner leur indépendance. L’avis du 11 avril 1818
peut témoigner de l’état des lieux : « Son Excellence le Président d’Haïti,
craignant encore que des personnes exercent sans autorisation et sans les
talents nécessaires l’art de guérir, et que des crédules ne deviennent les
victimes de ce charlatanisme, m’a demandé de prévenir le public et les
autorités locales, que toutes personnes qui se présenteraient dans les communes
pour exercer la médecine ou vendre des drogues sans autorisation, devront lui
être décoincées, afin que des mesures répressives et tendant au Bien Public
soient prises contre elles, pour les empêcher de faire le mal. » Afin de palier
à ce problème, le président Boyer fonda en 1823 l’Académie Haïtienne qui a vu
naitre la première école de médecine. Malheureusement le faible niveau éducatif
des haïtiens aspirants à être médecins a condamné cette initiative à l’échec.
Et la pratique médicale est consécutivement réduite au traitement traditionnel
des maladies.
Hôpital Asile Français |
C’est l’année 1864 qui marqua le tournant de la
médecine haïtienne. Le président Geffrard réorganisa l’école de médecine avec
des professeurs haïtiens et étrangers venus des universités françaises. Le
cursus universitaire n’avait rien à envier aux grandes universités étrangères.
C’est dans ce contexte de progrès qu’ont vu le jour :
- L’Hôpital St-Vincent de Paul en 1870
- L’Asile français en 1878
- L’Hôpital Saint François de Salles en 1885
- L’Hôpital Justinien du Cap-Haitien en 1890
Le docteur Léon Audain introduisit la grande chirurgie dans la pratique
médicale haïtienne pour le bien de toute une population. En 1922, sous
l’occupation américaine, l’hôpital militaire est transformé en Hôpital général.
Encore un grand pas dans le monde de la médecine scientifique. Des lois et
décret-loi ont été adoptés pour réglementer cette nouvelle pratique médicale.
Tout ceci nous amena vers des résultats plus que
satisfaisants. Autour des années 1986-1987, le pays compta 1 médecin pour 5 600
habitants, 359 établissements de santé. Pour l’exercice 1987-1988, le budget du
Ministère de la Sante s’élevait à 29 200 000 dollars américains. L’espérance de
vie de la population était de 54 ans avec un taux de mortalité générale de 14
pour 1 000. D’énormes progrès si on constate les épidémies qu'on a vaincu ou
contenu : la polio, le pian, la rougeole, la tuberculose etc...
Malheureusement rien n’est acquis. Le contexte a
rapidement évolué à partir des années 1990. Politiquement, socialement,
économiquement, le pays a subi des modifications en profondeur. Ce qui a laissé
des marques sur nos vies et assurément sur notre manière d’exercer la médecine.
Le mode de vie s’est transformé radicalement occasionnant l’explosion de
maladies dites de civilisation. Par exemple, les cas de cancer qui ne cessent
de nous intriguer. Il est devenu plus que jamais évident que la médecine et sa
pratique sont influencées par l’économie, la politique, l’environnement, la
sociologie, la culture, même les émotions qui véhiculent dans la société. La
prévention est l’arme la plus puissante face à cette nouvelle ère. Elle passe
essentiellement par l’éducation pour une prise de conscience collective. Le
médecin haïtien aujourd’hui, dans sa pratique, est confronté à un engagement
social et parfois politique. En peu de mots, un engagement humain!
Moise Kenny
D4-fmss-UNDH
@kennymoise on twitter
Référence
- Jean Claude Delbeau. Société, culture et Medecine populaire traditionnelle. 1990
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